Matthew Feyld

2022 | MATTHEW FEYLD

MONTRÉAL
29 jan - 19 mars



Matthew Feyld : Encercle

Matthew Feyld, Untitled SC-22-03, 2021-2022, Acrylique et pigments sur lin monté sur panneau, 8’’ x 16’’.

Depuis plus de sept ans, Matthew Feyld étudie avec ténacité les potentialités d'un seul motif, le point. Récemment, le peintre s'est tourné vers sa forme signature pour faire avancer son travail, agrandissant d'abord le point pour qu’il devienne un cercle, puis le divisant en demi-cercle. Faire des tableaux circulaires, c'est, en un sens, explorer une interprétation erronée des peintures « point ». En effet, le point, bien qu'étant intrinsèquement une forme circulaire, a été choisi par Feyld moins parce qu'il s'agit d'un type de cercle, mais plus comme une forme neutre pour servir de matrice à son exploration de l'espace positif et négatif, ainsi que du rapport entre la présence et l'absence. Cette exploration adresse aussi d’autres dualités avec leur gamme complète de résonances philosophiques, esthétiques et historiques. 

Le point est l’énoncé essentiel des préoccupations formelles de Feyld. Il peut être lu par les spectateurs d’abord comme une présence; un point blanc dans un champ coloré, qui est en fait le fond blanc du tableau laissé non peint et qui est situé « plus bas » que l’épaisseur de peinture qui l’entoure. Le point est simplement une forme neutre qui appelle une conversation plus large au sujet des dichotomies qui forment une pierre angulaire de la culture et de la pensée occidentales malgré leur tendance à simplifier des situations complexes comme dans les cas du bien/mal, masculin/féminin, soi/autre, etc.

Feyld s’est tourné vers le point comme Robert Ryman a fait l’utilisation du blanc, c’est-à-dire comme un véhicule neutre qui permettrait à d'autres choses de devenir évidentes. Pour Ryman, il s'agissait de l'interaction des différents composants matériels d'un tableau avec un environnement particulier. Le blanc était utilisé en tant qu'abstraction « sans couleur » et non référentielle via la fabrication de marques. Ce processus a servi d'armature pour que le spectateur assiste à l’effet de la lumière et de l'espace sur les éléments picturaux tels que des coups de pinceau, différents matériaux, différents supports, etc. Puis, en 2004, Ryman décide d'aborder le blanc directement, plutôt que simplement comme un outil, réalisant volontairement des « tableaux blancs » pour la première fois.

C'est en quelque sorte ce que fait Feyld avec ses tableaux circulaires, en développant un format tondo qui lui permet d’explorer le motif du point non pas comme un outil pour établir une certaine relation (à la fois formelle et philosophique) au sein de la toile, mais comme le contenu et le format premiers du travail. Dans ces tableaux, il n'y a pas de relation interne. Il faut les apprécier comme une totalité, une forme-surface singulière, composée, comme tous les tableaux de Feyld, de couches de couleurs méticuleusement étagées. Cette surface paraît unifiée et définitive, mais est informée par toutes les couches du dessous, créant une couleur complexe, un peu comme les tableaux monochromes de Brice Marden des années 1960 et 1970. Marden y laissait une marge au bas de ses surfaces encaustiques en couches où les gouttes accumulées révélaient à la fois le processus et les couleurs impliquées dans la réalisation des œuvres. Feyld permet d’une façon similaire à la densité de la peinture de se diffuser légèrement aux bords du tableaux; un élément qui permet à un œil inquisiteur de s’arrêter sur la composition des surfaces autrement uniformes.

Comme le rapport entre la figure et le fond est éliminé dans les tableaux « cercle » de Feyld, nous sommes invités à soulever la question de l’échelle. Dans les tableaux « point », le point demeure relativement stable en taille, peu importe les formats variés de cette série de peintures. Le point est donc une mesure fiable quant à l’échelle des œuvres. Cependant, avec les tableaux « cercles », le cercle devient une figure, et le mur sur lequel il est accroché en devient le champ. Ainsi, le contenant de l'œuvre, c’est-à-dire le mur, est une entité moins contrôlable. Par extension, c’est l'architecture de l'espace d'exposition qui dicte notre expérience de ce corpus particulier de Feyld, alors que les tableaux « point » dictent en eux-mêmes l’expérience de l’oeuvre. Cela se complexifie quand plusieurs peintures circulaires sont accrochées côte à côte, comme dans la présente exposition chez Blouin Division. Il s’y crée des rapports entre les tableaux, ainsi qu’avec l'architecture, produisant un jeu de couleurs et de formes répétées qui est beaucoup moins présent dans l’impact plus contenu de chaque tableau « point » individuel.

Comme de nombreuses formes géométriques familières, un cercle produit une réaction gestalt chez le spectateur. Cela contribue en partie au sentiment de présence matérielle des tableaux circulaires, qui est souligné par leurs surfaces monochromes denses et manifestement travaillées. Le format tondo relie également l'œuvre à des traditions picturales remontant à la Renaissance. En divisant ensuite le cercle en deux, comme il l'a fait dans sa nouvelle série, Feyld en vient à détourner l'attention de la familiarité de la forme circulaire pour entrer dans un territoire qui frôle l'expressivité. Feyld est maintenant à une deuxième étape d'auto-analyse de son travail. Ainsi, les tableaux en demi-cercle sont autant infléchis par sa propre histoire que par une compréhension plus large que nous pouvons avoir du demi-cercle, qui est encore familier, bien que moins que la forme circulaire pleine. Mais, là où le cercle véhicule un sens de totalité, qui est l'une des nombreuses significations qui lui sont traditionnellement associées, le demi-cercle implique l'incomplétude et même la fragmentation. Ainsi, d'une certaine manière, les peintures en demi-cercle se rapprochent des peintures « point » dans leurs implications parce que la conversation formelle qu'elles suggèrent porte à nouveau sur le rapport entre la partie et le tout.

La partie absente du demi-cercle est tout autant déterminante dans notre expérience de l'œuvre que celle qui est présente. Cela est particulièrement vrai lorsque les demi-cercles sont, comme ici, exposés en série et installés dans l'une des deux positions que l'artiste leur a déterminées - avec leur courbe vers le haut ou vers la gauche - et aussi lorsqu'ils sont affichés près des tableaux circulaires, où ce qui a été « éliminé » est nettement évident. Les tableaux récents ancrent davantage la pratique de Feyld dans un propos visuel qui investigue l’espace architectural. À l’intérieur des conventions désormais établies dans sa pratique, les tableaux en cercle et demi-cercle accentuent une des préoccupations fondamentales de l’artiste, celle de l’activation du site d’affichage par les œuvres.

- Alex Bacon, Londres, janvier 2022