Mathieu Grenier | Screen Fade

2021 | MATHIEU GRENIER
SCREEN FADE
COMMISSARIÉ PAR ELISA GUTIÉRREZ ERIKSEN
MONTRÉAL
29 mai - 14 août



Mathieu Grenier, Crystal Gaze #1, 2021, Impression UV sur écran LCD mis hors service, 21” x 12”

Mathieu Grenier, Crystal Gaze #1, 2021, Impression UV sur écran LCD mis hors service, 21” x 12”

29 mai - 14 août 2021

Dans sa nouvelle exposition, Mathieu Grenier examine le mécanisme de fabrication des images en établissant des parallèles improbables entre les cyanotypes, dont la technique repose sur des expositions uniques rudimentaires, et les moniteurs LCD où défile du contenu disponible à l’infini. Les œuvres explorent le rapport que l’humain entretient avec les appareils électroniques. L’artiste reconfigure cette relation en se concentrant sur l’expérience des formes ainsi que sur notre rapport physique avec ces objets technologiques. 

Les pièces présentées dans Screen Fade* sont issues d’une résidence effectuée par Grenier à la NARS Foundation (Brooklyn, New York) à l’automne 2020 et de la découverte de Rafi’s TV, un modeste magasin de réparation de téléviseurs situé à quelques coins de rue de son atelier. Il y a trouvé un ensemble de moniteurs qui allaient être jetés et les a réutilisés pour créer ce qui allait devenir les deux corpus d’œuvres exposés ici : The Monitors et Crystal Gazer

Avec la série The Monitors, l’artiste continue son exploration du cyanotype, cet ancien procédé photographique caractérisé par des images aux tons de bleu cyan. Le cyanotype, dont le procédé a marqué l’histoire de la photographie, a d’abord été adapté par la pionnière Anna Atkins, considérée comme la première femme photographe. Aussi connue sous le nom de blueprint, cette technique a longtemps été utilisée en architecture car elle s’est révélée plus efficace pour copier des plans. Alors qu’Atkins utilisait le cyanotype pour illustrer et inventorier des échantillons botaniques, Grenier l’utilise pour capter les débris des moniteurs démontés. Résultants de ce procédé, des éléments organiques – des plis qui apparaissent comme les sentiers d’un paysage, différentes nuances de bleu causées par la quantité de lumière ou de vent présente durant le processus d’exposition – font de subtiles apparitions parmi les pièces de matériel informatique, offrant au visiteur une expérience sensorielle dans laquelle les objets se dissolvent en une méditation sur la forme et la texture. Les écrans qui ont jadis produit un flot lumineux et continu de données sont désormais figés, déconstruits en des représentations statiques. 

La cyberdépendance nous pousse à fixer presque sans arrêt des écrans qui sont des sources de lumière artificielle. Ici, l’artiste se préoccupe de la façon dont notre anatomie change en interagissant avec différents appareils. Approfondissant un questionnement sur l’implication physique liée à l’acte de voir : épaules affaissées, ventre arrondi, douleurs corporelles, maux de tête, etc.

« Perte de mémoire » et « sentiment d’identité flou » ne sont que deux des nombreux symptômes lisibles sur les cadres qui scindent l’espace de la galerie en deux. L’utilisation de bancs et de structures de métal dans l’installation de Grenier rappelle son exposition solo Sans Filtre (Plein Sud, 2019). Les cadres, alors « émancipés » des images, existent comme des sculptures individuelles qui interagissent avec le visiteur dans ses mouvements. Dans Screen Fade, le cadre de métal agit comme un appareil optique pour le corps, offrant un nouvel espace architectural pour créer une relation anatomique inédite avec les œuvres, tout en élargissant les frontières du langage visuel.

La série Crystal Gazer est constituée d’œuvres créées à partir d’écrans LCD dénudées de leur appareillage électronique. Ces collages numériques imprimés directement sur des écrans LCD combinent des formes pixellisées, des fenêtres d’ordinateur ainsi que des images en noir et blanc appartenant à une archive photographique personnelle que Grenier collecte depuis plusieurs années. Parmi ces images nous reconnaissons des amas de téléphone cellulaires Blackberry™ obsolètes, des images d’animaux morts, d’os trouvés dans le gazon, soit diverses représentations de la décomposition. 

Si le paysage que l’œuvre de Grenier dépeint met l’accent sur les façons de regarder, il parle aussi de la perte de vision. Crystal Gazer #3 inclut une description de la fatigue oculaire : une condition moderne survenant après de longues périodes passées devant un écran ou un autre appareil qui produit une source lumineuse continue. La pièce nous invite à réfléchir à la consommation visuelle et technologique, à la présence et à l’absence, aux processus mentaux flous, à la fragmentation de l’information, des expériences, et à la perte de perspective.

Bien que Screen Fade soit un terme technique utilisé pour décrire un écran défaillant, Grenier lui attribue un sens plus large en l’associant au passage du temps, à la détérioration des corps et à la routine délétère dans lesquelles nos vies hyperconnectées nous confinent. 

Grenier déconstruit et reconfigure des appareils électroniques afin d’en renouveler notre perception; il récupère des aspects formels relevant de l’architecture de l’image et trace des parallèles entre l’idée du collage comme élément irrésolu et l’expérience fragmentée de la vie d’aujourd’hui passée devant un écran.

* Le terme Screen Fade est utilisé pour décrire la dégradation partielle ou totale du CRT (tube cathodique) d’un appareil informatique souvent causée par l’utilisation non uniforme des pixels. Paradoxalement, ceci est appelé la « persistance de l’image » dans les LCD (écrans à cristaux liquides). 

 

Elisa Gutiérrez Eriksen
Elisa Gutiérrez Eriksen est une commissaire ainsi qu’une productrice artistique et culturelle mexicaine basée à Brooklyn. Elle a collaboré avec des artistes et des institutions pour produire et commissarier des œuvres, des expositions, des festivals et des événements culturels.

En tant que spécialiste culturelle au bureau de l’UNESCO à Mexico, elle a développé des projets et commissarié des expositions portant sur les relations entre la culture et la migration, le patrimoine audiovisuel et l’environnement. Avant cela, elle a été responsable des expositions du programme Alas y Raices au Ministère de la culture du Mexique. Elle a entamé sa pratique commissariale en 2008 comme assistante commissaire de la 100m3 Gallery à Mexico. Elisa a également collaboré avec l’International Human Rights Art Festival à New York et avec l’International Contemporary Animation Film Festival ANIMASIVO.

Elle travaille actuellement comme responsable des programmes à la NARS Foundation et comme commissaire indépendante. Parmi ces plus récents projets on retrouve Subversive Kin: The Act of Turning Over, présenté au Clemente Soto Velez Cultural Center à NY et Common Frequencies, actuellement présenté au BioBAT Art Space à Brooklyn, NY.