Nicolas Lachance | Entreprise

2023 | NICOLAS LACHANCE - Entreprise
MONTRÉAL
16 `Mars - 13 Mai 2023 
Vernissage: Jeudi, 16 mars 2023, 17h - 19h.


  • ŒUVRES
  • CV

Le travail récent de Nicolas Lachance nous plonge dans un univers de contemplation et de confrontation dans lequel s’exprime une compréhension nuancée de la relation entre l’image technique et le pouvoir. L’exposition Entreprise présente de nouvelles peintures, qui à travers leurs singularités, partagent une filiation pour la communion entre les images et l'idéologie. 

En tant que véhicule de diffusion éthique qui a été déterminant dans le développement du capitalisme, les images n’ont cessé d’agir sur notre façon de voir et d’appréhender le monde. La circulation de l'information grâce à la presse typographique, une technologie qui a permis la production et la distribution d'images de masse, a contribué à créer un amalgame de représentations visuelles accessibles à un large public. En ce sens, l'image a commencé à fonctionner comme mémoire externe, puisqu'elle nous permet de transmettre et d'accéder à de l’information visuelle au-delà de notre expérience individuelle. Si la période historique des réformes est aux prises avec des questionnements de natures morales, celles des révolutions industrielles négocient plutôt avec un ensemble de problèmes éthiques. 

Des images violentes à la propagation incontrôlable des images, un abysse de confusion découle de ce changement. En s'appropriant des illustrations de la réforme protestante et en recadrant ces œuvres imprimées avant la presse typographique de Gutenberg, Lachance explore le contraste des positions que jouent les images dans la formation de notre perception du moyen-âge tardif. Les premières productions visuelles distribuées massivement offraient le potentiel de démocratiser le savoir et de nous libérer des contraintes des formes traditionnelles de pensée, en nous permettant d'accéder à l'information sans la médiation des élites. D'une autre part, les dynamiques de pouvoir dont découle la diffusion de ces images ne sont jamais des représentations désintéressées, mais sont au contraire profondément ancrées dans les structures de pouvoir et les hiérarchies sociales. Les réformateurs ont travaillé conjointement avec certains artistes sympathiques à leurs idées. Ceux-ci ont parfois monopolisé leur atelier à leur service. Chimère, démon, scatologie, meurtre et blasphème satirique sortent des presses en guise d’illustrations aux thèses véhiculées par les réformateurs.

L’utilisation d’un recadrage dans les œuvres Detail from Sabbath, Unknown, woodcut, approx 1522, Detail from Revelation of St John; Vision of the Seven Candlesticks. Lucas Cranach. woodcut. 1529, et sans titre est en quelque sorte une invitation. De cette proximité du sujet émane un sentiment d'intimité, un nouvel espace d'interprétation individuelle. L'acte de recadrage peut être considéré comme une tentative délibérée de diriger, de contrôler et de manipuler la manière dont nous percevons les images et, par extension, le passé qu'elles représentent. En ce sens, la stratégie de recadrage peut être observée en tant que forme de violence, car elles effacent et obscurcissent des éléments de l'œuvre originale, ce qui permet à la fois de reproduire et de questionner les structures de pouvoir dominantes inhérentes aux images. Un fragment seul est extrait de l’ensemble, le contexte échappe à notre regard.   

Dans son travail, Lachance nous invite à contempler la nature charnelle de la peinture comme un geste subversif. Les images ne sont pas simplement des outils de domination des esprits, mais également des sites de résistance. En recentrant notre perception sur la façon dont les images techniques peuvent avoir un impact significatif sur la formation de notre mémoire collective, son approche s'inspire des vestiges inexpugnables de la culture d'entreprise. Les trois peintures à grande échelle; Duke-Price Power and Co. Ltd., Isle Maligne Station, 1925, Les établissements sanitaires, TG Cité industrielle, 1917, Barrage, TG., 1921, sont réalisées à partir de maquettes représentant des projets industriels. Les peintures ne montrent cependant aucune des infrastructures présentes sur les maquettes. Effacé dans leur composition, le spectre d’une éventualité s'éteint. La notion de ruine est ici contournée au profit d'une topologie brute qui ne se réfère qu'à son "propre temps", au temps géologique. La composition de chaque œuvre est réalisée en agrandissant, en divisant et imprimant les multiples segments de l’image source au format lettre.  L’image est ensuite retranscrite, chaque fragment étant minutieusement peint sur la toile, un par un, recomposant l'image fracturée en synchronisant et en réconciliant la main et la machine.  

Le travail présenté dans l’exposition Entreprise met en évidence la nature paradoxale des images, qui fonctionnent à la fois comme source de persuasion et de résistance. Si les Écritures ont été l'objet d’une querelle initiée par les réformistes, les images imprimées en ont été le support central. Le rôle que prend l’effacement et le recadrage dans la production des récentes peintures de Lachance offre une perspective poétique des mécanismes de circulation et d’usages, de l’image à l’écriture.

-Jérôme Nadeau