Émilie Régnier - Émilie Régnier

2023 | ÉMILIE RÉGNIER
NYAMA
MONTRÉAL
18 mai - 30 juin, 2023 


  • ŒUVRES
  • CV

« Je te salue, vieil Océan! » Tu préserves sur tes crêtes le sourd bateau de nos naissances, tes abîmes sont notre inconscient même, labourés de fugitives mémoires.

-Édouard Glissant

Le bogolan* vient originalement du Mali. Fait de teinture végétale, il est hautement symbolique chez les Bambaras. Traditionnellement utilisé dans les sociétés animistes pour ses capacités protectrices, sa valeur s’est peu à peu transformée depuis l’époque coloniale et sa production s’est élargie aux pays frontaliers. Le bogolan a fait son apparition sur les podiums de mode et dans les boutiques de touristes. Perçu comme « exotique », ses motifs ont marqué l’imaginaire occidental légitimant sa valeur artistique puisque issue d’une Afrique que l’on veut tribale, rurale et ancrée dans la tradition. Dépouillée de son symbolisme initial, les motifs inhérents au bogolan sont souvent utilisés pour aborder « l’africanité », occultant toutes nuances d’ethnies ou de pays.

Le choix d’imprimer ma silhouette sur ce tissu à la fois sacré et signe d’appropriation culturelle est une façon de me réapproprier une infime partie d’un héritage qui a été spolié par la traite transatlantique, et d’aborder les tensions associées à une identité métisse fragmentée entre divers horizons au rythme des déportations et de l’immigration.

Bien que représentant l’empreinte de mon corps sans révéler clairement mon identité, ces images mettent en évidence mon genre et mon appartenance raciale. Ces portraits peuvent représenter plusieurs millions de femmes noires. Mon corps devient alors le symbole d'un groupe beaucoup plus large, historiquement jugé en fonction de son apparence physique, perçue à la fois comme hyper-visible et invisible.

C’est pour m’affranchir du poids associé à la couleur de peau que j’ai décidé de retravailler l’intérieur des silhouettes avec de la poudre scintillante. Je désire ainsi aborder la notion d’âme, de spiritualité et la possibilité d’une dimension intérieure qui défie les limites de la pensée rationnelle en utilisant comme support, un tissu fait de terre et de coton auquel on attribue un pouvoir de protection face aux forces occultes.

-Émilie Régnier, mai 2023

*Le bogolan, ou bògòlanfini en bambara, est un tissu malien teint suivant une technique utilisée au Mali, au Burkina Faso, en Guinée, en Côte d'Ivoire et au Sénégal. Il désigne à la fois le tissu et un style particulier de teinture.